Vanghélis BITSORIS: Blanchot, Derrida: du droit à la mort au droit à la vie
Dans le texte La littérature et le droit à la mort, Blanchot érige la valeur du risque de la vie en droit à la mort, en associant l’action révolutionnaire à celle qu’incarne la littérature. Le point culminant de ce droit à la mort est la Terreur. D’où la référence blanchotienne à la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, à la pensée de Sade et de Bataille. Face à ce droit à la mort qui est conçu comme l’essence d’un droit propre à l’être humain, Derrida oppose le droit à la vie. Si Blanchot présuppose que nous sommes déjà morts, Derrida affirme que nous sommes tous des survivants en sursis. A la place de la volonté qui met en danger mortel la vie pour affirmer la souveraineté de la conscience et du sujet, Derrida nous incite à préférer la vie et à affirmer la survie.
Didier CAHEN: Maurice Blanchot, une vie
Je souhaite parler de la vie de Blanchot. Cette vie, si elle n’a rien d’un vécu immédiat, reste cependant une vie vivante, archi-vivante, qui se conçoit à l’intérieur de l’homme et ne doit rien au ciel ! J’espère montrer en quoi les personnages de ses récits auront permis à l’écrivain d’envisager comme il se doit la vie ; combien, en somme, Blanchot aura appris à vivre avec ses « créatures ».
Pour mieux la situer, ce court extrait de « Qui a peur de la littérature? » — ce livre où j’essayais de présenter et détailler les vivres de cette vie-là: « Fécondité de la littérature quand l’œuvre avoue sa dimension unique. Là-bas, lorsque l’on cherche dans la nuit du temps ce n’est pas l’homme qui donne son sens à l’œuvre, mais l’œuvre qui donne sa vie à l’homme ».
Martin CROWLEY: Touche – là
Dans les dernières pages de la section ‘La solitude essentielle’, qui ouvre L’Espace littéraire, quelqu’un (disons, pour le moment, Maurice Blanchot) nous pose la question suivante: « qu’arrive-t-il quand ce qu’on voit, quoique à distance, semble vous toucher par un contact saisissant, quand la manière de voir est une sorte de touche, quand voir est un contact à distance? » Touché, le regard s’abîme, se perd dans les gouffres de la fascination; ainsi ce « contact à distance » ruine-t-il toute possibilité de possession sensible. Il s’agira ici de poursuivre ces réflexions (en déplaçant l’accent de la vision sur la lecture), en examinant le régime référentiel de certains récits blanchotiens. Afin de cerner au plus près les enjeux de ce « contact à distance », une attention particulière sera accordée aux moments privilégiés d’une mise en scène du toucher, ainsi qu’au mode d’existence dans ces récits de références spécifiques, historiques ou même personnelles.
Jérôme DUWA: La déclaration des 121: un texte fait par tous et non par un
Comme le dit expressément le récit qu’en fait Blanchot dans Pour l’Amitié, la déclaration des 121 est née de la rencontre d’un désir commun qu’ »il faut faire quelque chose » eu égard aux événements d’Algérie. A partir de cette reconnaissance mutuelle qui met initialement en jeu Dionys Mascolo, Jean Schuster et Maurice Blanchot, un texte va se construire en mêlant sans confusion ces voix auxquelles d’autres afflux vont encore être associés. Pour des raisons qui tiennent profondément à la nature de leur engagement dans l’histoire qui se fait, les acteurs de cette parole partagée n’ont jamais voulu prendre la posture de l’historien. Puisque les archives de ce texte qui « créa l’événement » ont été préservées par Dionys Mascolo et confiées à l’IMEC, l’opportunité nous est offerte d’en étudier précisément les différentes versions, non pas simplement par un assez vain souci d’attribution de tel mot à tel rédacteur, mais surtout pour mieux comprendre ce moment d’exception d’une mise en commun de la pensée.
Leslie HILL: D’un désastre obscur: le neutre et le fragmentaire
On le sait: c’est en rapportant à l’écriture le mot de « désastre » que s’ouvre ce qui aura été le dernier grand ouvrage de Blanchot, paru il y a maintenant plus d’un quart de siècle. Désastre: événement funeste, malheur grave, dégât, ruine, échec complet, entraînant de graves conséquences, affirme le dictionnaire. Le livre de Blanchot — mais s’agit-il encore d’un livre? — serait donc « né sous une mauvaise étoile ». Mais qu’appelle-t-on « désastre »? Et comment celui-ci se rapporte-t-il à l’écriture, à ce que dans L’entretien infini Blanchot appelait: « le neutre le fragmentaire », et à ce qui, dans le texte même de L’écriture du désastre, se dit « changement d’époque »? Dans cette communication, je m’efforcerai d’avancer un peu dans cette voie en proposant ainsi quelques éléments de lecture de L’écriture du désastre.
Michaël HOLLAND: D’un retour au tournant. Politique et narration chez Blanchot
Vers 1937, faussant compagnie aux « années tournantes » de l’entre-deux-guerres, Maurice Blanchot renonce à toute activité politique à la faveur, semble-t-il, d’une retraite vers le temps hors temps de l’écriture de fiction. Comment rendre compte de ce mouvement? Quand exactement a-t-il lieu, et comment? Selon quelle modalité peut-on passer de la politique à la fiction? Est-ce possible, autrement que par un rusé tour de passe-passe? De telles questions forment depuis plusieurs décennies le point névralgique de toute lecture des écrits de Blanchot pris dans leur ensemble. En outre, le trouble dont elles affectent la réflexion s’intensifie lorsqu’on constate que, par un renversement apparent de ce mouvement de retraite, Blanchot semble abandonner la fiction à partir de 1957 pour revenir à la politique. « Retour » qui s’opère sous le signe du tournant. Ma communication tentera une exploration des détours de ce retour et de ce tournant.
Ian MACLACHLAN: Lire, écrire: Blanchot et Laporte
Roger Laporte (1925-2001) a soutenu un rapport de lecture et d’écriture avec l’œuvre de Blanchot tout au long de sa carrière d’écrivain. Les extraits publiés de ses carnets, ainsi que les diverses études qu’il a consacrées à Blanchot, témoignent d’une lecture passionnée et sans cesse renouvelée de ses romans, récits, et écrits critiques. On discerne les traces de cette lecture partout dans l’œuvre de Laporte et surtout dans ces textes repris dans Une Vie (1986), extraordinaire aventure d’une écriture. Pour sa part, Blanchot a commenté les textes de Laporte à diverses reprises, de façon révélatrice quoique passagère. Cette communication proposera de sonder l’enjeu de cet entrecroisement de deux œuvres singulières sous l’égide de la notion d’une « lecture écrivante ».
Pierre MADAULE: « La vengeance d’Adam »
L’expression « la vengeance d’Adam » que l’on trouve une fois dans le texte de Thomas l’obscur, version de 1941, serait du même mouvement prophétique et opératoire. Sa mise en œuvre, qui suppose l’identification possible du personnage nommé Thomas à l’Adam de la Bible vu comme représentant de l’humanité entière, impliquerait de la part du scripteur-opérateur qu’il perde ici le contrôle de ce qu’il pourrait encore écrire en tant qu’homme ordinaire, même damné, et que donc il s’abandonne à son double, à son spectre, à son « épave » noyée en lui, bref à ce qu’il resterait encore de sa personne après la noyade du premier chapitre de Thomas l’obscur….
Dominique RABATÉ: Blanchot aujourd’hui: emprise et rejets
Cette communication veut décrire et analyser ce que Blanchot a représenté et continue de représenter pour un nombre important d’écrivains aujourd’hui, dans leur pratique comme dans leur réflexion sur l’écriture, écrivains qui s’en réclament explicitement ou qui s’en écartent de manière plus ou moins polémique. Je pense à Bernard Pingaud, Jean-Benoît Puech, François Dominique, Pascal Quignard, Richard Millet ou Yannick Haenel, sans que la liste soit encore limitative. Selon certains moments qu’il faut envisager en diachronie depuis les années 70, et sans étudier ceux qui auront été les plus évidemment proches de Blanchot (Laporte, Noël, Madaule), c’est le rôle de modèle à copier ou à rejeter que je souhaite comprendre, modèle invoqué ou non, directement ou indirectement mis en scène. Dans cette persepctive, on s’efforcera de faire la part entre le “blanchotisme” comme idéologie littéraire et ce qui incombe plus strictement à Blanchot.
Serge ZENKINE: Maurice Blanchot et l’image visuelle
Destructive et autodestructive, « ressemblante à elle-même » et informe, remplaçant la projection optique à distance par le contact corporel « rapproché », et le jour intellectuel par la fascination aveugle et la régression biologique, l’image chez Blanchot n’est pas la reconstitution esthétique d’un monde intelligible, mais une rivale redoutable de la pensée rationaliste, la trace des forces élémentaires et/ou sacrées, des substances continues du néant « intime » qui s’opposent à la discontinuité de la pensée et du langage. Elle ne peut pas être « admirée », on est contraint de lutter contre elle, et les personnages de Blanchot, de même que l’auteur même, sont aux prises avec l’image.